dimanche 16 octobre 2011

Berlin: j'ai vécu l'Histoire

Une récente  conversation 2.0 sur twitter (merci @Pierre_Sk) a fait resurgir mes souvenirs d'enfance et tout l'attachement que je ressentais pour la ville de Berlin. Si l'on considère que nous fêtons les 50 ans de la construction du mur et les 20 ans de la réunification allemande ce billet certes personnel reste à propos.

Berlin l'envoûtante

Mon père, militaire, fut donc muté à l'été 1982 pour cette ville qui n'était plus "que" la capitale de l'Allemagne de l'Est (République Démocratique d'Allemagne, DDR pour les germanophones) et la tête de pont du monde occidental au sein du Pacte de Varsovie. A l'âge de 8 ans, difficile de bien comprendre le concept de guerre froide mais les quatre années qui ont suivi m'ont permis de mettre des images en face de cette notion quelque peu abstraite à la différence de la grande majorité des Français. A l'époque on parlait encore de Forces Françaises en Allemagne (avant que le politiquement correct et la construction européenne ne s'en mêlent et que l'on dise ensuite Forces Françaises stationnées en Allemagne) et la mutation berlinoise était l'eldorado du militaire français (n'appartenant ni à la légion étrangère ni aux troupes de marine). Les opérations extérieures étaient rares et la plus grande partie de l'armée française s'exerçait à résister du mieux possible aux "hordes soviétiques" débouchant par la trouée de Fulda.
Crédit inconnu
C'est vrai que la vie berlinoise pouvait se montrer exaltante car pour oublier l'encerclement du mur, la ville et ses habitants se montraient particulièrement festifs, le Kurfürstendamm rassemblant les noctambules dans une profusion de cabarets, boîtes de nuit et bars branchés. Grande métropole, la ville en elle-même est dotée de nombreux espaces verts (créés sur les décombres de la ville après sa chute en 1945) et de lacs qui donnent l'impression d'être à la campagne. De plus, les Américains vivant quasiment en autarcie dans leur zone (même les employés des fast-food venaient des Etats-Unis), les Berlinois semblaient plus proche des Anglais et des Français comme le succès des portes ouvertes du Quartier Napoléon et la vente massive de baguettes le démontraient chaque année.

Julius Leber Kaserne, anciennement Quartier Napoléon 
 Berlin aux deux visages

Le Quartier Napoléon, c'est justement l'un des premiers indices du monde particulier dans lequel nous évoluions pour l'enfant que j'étais. Nous habitions cité Joffre voisine de la caserne (qui hébergeait le 11ème régiment de chasseurs et le 46ème régiment d'infanterie) et régulièrement nous pouvions assister aux exercices de protection du site, avec des militaires postés aux miradors, des patrouilles le long du mur d'enceinte (que je prenais d'ailleurs pour le mur de Berlin la première fois que je l'ai vu) et les soldats qui reconnaissaient l'emplacement des mitrailleuses et des lance-roquettes anti-char. Bizarrement également, nous croisions parfois de grosses berlines noires d'une autre époque gravitant autour du quartier qui n'avait pourtant rien de très touristique.
Chaque départ en vacances pour quitter la ville puis pour revenir était en soi une aventure épique. Si vous preniez la voiture, le parcours était immuable et particulièrement fastidieux: au moment de quitter Berlin Ouest, il fallait tout d'abord s'arrêter au poste allié pour enregistrer votre passage, un dossier de consignes nous était alors remis pour la traversée du "couloir", l'itinéraire obligatoire à suivre pour rejoindre l'Allemagne de l'Ouest. Après ce premier arrêt, il fallait rejoindre un check-point russe et cette fois attendre le bon vouloir des gardes pour s'engager dans le couloir, et cela pouvait prendre un temps certain. les plantons russes profitaient régulièrement de l'occasion pour échanger un insigne contre des paquets de cigarettes... Une fois l'autorisation obtenue, nous suivions l'autoroute unique route autorisée à la vitesse maximum de 100km/h pour rejoindre la frontière avec l'Allemagne de l'Ouest où le scénario se répétait: attente du bon gré russe pour franchir cette frontière et ensuite passage au poste interallié pour rendre compte du trajet (de ce que l'on aurait pu apercevoir, véhicule militaire etc.) et rendre le dossier de consignes.
L'autre moyen de transport couramment utilisé était le TMFB, le train militaire français de Berlin  qui au départ de Strasbourg nous ramenait dans la cité allemande de nuit. Au petit matin, nous passions le long du mur avec d'un côté Berlin Ouest illuminé et de l'autre Berlin Est à peine éclairé. Avec un oeil un tout petit peu attentif, on pouvait constaté que si les façades donnant sur la voie étaient souvent fraîchement peintes il n'en était pas du tout de même pour le reste des bâtiments. Ce passage entre les deux Berlin vous replongeait immédiatement dans la réalité de la guerre froide, même pour un enfant qui chaque fois qu'il prenait ce train apercevait un foulard blanc agité à une fenêtre, témoignage d'un remerciement muet et constant d'une mère dont le fils a pu rejoindre Berlin Ouest en se cachant dans un des wagons...

Le Train Militaire Français de Berlin: crédit inconnu

La guerre froide, je l'ai pris de plein fouet la première fois où j'ai pu me rendre à Berlin Est: le choc des mondes. Pour cette visite, nous empruntions un véhicule officiel, à savoir un combi Volkswagen, oui oui les mêmes que les hippies dans les années 70 mais peint en kaki. Nous franchissions le mur à hauteur du célèbre checkpoint Charlie comme si nous franchissions une barrière temporelle, à la différence de l'Ouest, le mur est de ce côté totalement vierge de graffiti, pour la bonne raison qu'il est tout bonnement interdit de circuler sur ce côté de la route. Les voitures se ressemblent toutes  ce sont les célèbres trabants seules quelques berlines appartenant aux apparatchiks du régime circulent. Le centre historique de Berlin se trouve à l'Est est les monuments sont dans l'état de la fin de la seconde guerre mondiale, criblés de balles. Les autres quartiers, reconstruits sont découpés à la serpe de grandes artères encadrées par de grands bâtiments communautaires, les cuisines étant partagées par plusieurs familles. La réalité du communisme est-allemand, nous l'avons découvert dans les magasins d'alimentation. Une des consignes données pour ces visites était d'éviter d'acheter les produits de première nécessité afin de ne pas en priver les Allemands de l'Est qui en manquaient déjà. Ainsi comment ne pas être surpris de voir une file d'attente devant une boucherie dont l'étal est quasiment vide et dont la viande est servie en conserve. La propagande est-allemande, bien rôdée, montrait aux clients qu'il en était de même à l'Ouest en publiant des photos de file d'attente devant les premiers Mac Donald's européens...

Crédit inconnu
 Caméras sur le toit des bâtiments, les hommes de la Volk Polizei (VoPo) armés dans les rues, rassemblement de plus de cinq personnes interdits, défilé militaire tout les mercredis, le départ d'un camarade de classe pour la France après que son père fut blessé dans une mission de l'autre côté autant d'exemples du véritable visage de l'Allemagne de l'Est autant de choses qui créaient une atmosphère particulière dans Berlin Ouest et le sentiment de vivre l'histoire aux premières loges. Avec le regard de mes dix ans, j'ai parfois du mal à comprendre les nostalgiques de la guerre froide  qui regrettent la lisibilité géopolitique de l'époque et encore moins les tenants du communisme même si aujourd'hui on lui donne souvent et pudiquement un autre nom. En plagiant JF Kennedy, j'aime à dire "Ich bin ein Berliner" et même si la ville a radicalement changé aujourd'hui, il est bon de se souvenir qu'elle fut victime de deux extrémismes politiques.
Bien plus légèrement, mon souvenir berlinois, c'est surtout la douce nostalgie d'une enfance heureuse et insouciante...

6 commentaires:

  1. Le seul extremisme politique dont la ville fut victime c'est celui du capitalisme...Le résultat aujourdhui parle de lui meme...La plupart des habitants de l'Allemagne de l'Est sont plus que déçus ,ils réalisent l'erreur aux conséquences irréversibles d'avoir fait chuter le mur.

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  2. Pas mal votre récit mis à part qu'il n'y avait pas de Mirador autour du Quartier Napoléon, mais votre jeune âge à l'époque a du ajouter à la confusion et on vous pardonnera bien volontiers...
    Si vous souhaitez d'autres informations sachez qu'il existe divers sites dont les deux suivants :
    http://anciensffsb.forumgratuit.org/

    et : http://anciensdu46eri.canalblog.com/

    Merci à vous... Cordialement. J.C.

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  3. Mon age de l'époque était le meme que le votre.Gardez donc vos url pour les naifs , je suis aussi bien informé que vous si ce n'est mieux.Des miradors il y en a dans toutes les zones sensibles.

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    1. je suis heureux de vous savoir mieux informé que moi. Personne ne lit ce blog sous la contrainte et libre à vous de nous faire part de votre connaissance.

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  4. Il existe un autre monde autour de votre quartier Napoléon...

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    1. sans aucun doute, ai-je prétendu le contraire ? Il s'agit ici de relater mon expérience, rien d'autre.

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