dimanche 16 septembre 2012

L'armée américaine face à l'ennemi intérieur

La guerre en couleurs:

Depuis quelques mois, nous assistons à un accroissement très significatif des attaques de type "green on blue". Ce vocable otanien désigne des attaques sur les forces de la coalition (blue) par l'armée qu'elle est sensée appuyée (green), l'ennemi étant sans surprise red. La plupart des pays participant à l'ISAF a été confrontée à une action de ce genre. Les Américains, sans doute de part leur nombre, ont subi le plus de pertes de la coalition, les Français sur la FOB de Gwan ont payé un lourd tribut avec 5 soldats tués en janvier 2012 , et dernièrement les Australiens ont perdu 3 des leurs. Les forces de sécurité afghanes n'échappent pas à cette menace puisqu'elles subissent plus de pertes que l'ensemble de la coalition lors de "green on green" comme le relevait le journaliste nicolas Ropert.

crédit photo: Majid Saeedi / Getty Images

Comprendre pour éviter l'impair

Alors que l'on constate cette augmentation de "green on blue", le nombre de pertes liées aux attaques d'IED* - Improvised Explosive Device - est lui en baisse par rapport aux années précédentes. De là à dire que les Taliban ont fait de ces attaques de l'intérieur leur principal mode opératoire, il y a un pas que le général Allen n'est pas encore prêt à franchir. Evidemment, les meurtres de soldats alliés par l'armée qu'ils sont venus soutenir peut s'expliquer par l'infiltration de celle-ci par des éléments insurgés. Cependant, le commandant en chef de l'ISAF évalue cette hypothèse à 25% uniquement des cas recensés. Cela laisse supposer que les autres attaques résultent de vexations et d'incompréhension entre aidant et aidés ou encore l'appât du gain comme ce fut le cas à l'aéroport de Kaboul l'an dernier lorsqu'un pilote de l'armée de l'air afghane a abattu 8 instructeurs et un civil américain. La famille de celui-ci certifiait qu'il n'avait aucun lien avec l'insurrection et expliquait son geste par des problèmes financiers.
Fin février 2012, des soldats américains ont brûlé 500 copies du Coran et prêt de 1200 textes religieux à Bagram, provoquant ainsi des troubles meurtriers. L'armée américaine a aussitôt diligenté une enquête et après 6 mois d'investigation, elle considère que cet autodafé n'était pas intentionnel et résulte d'une profonde méconnaissance de la culture afghane et de la religion musulmane. Cependant, il est toujours surprenant qu'un des fondamentaux de la guerre contre insurrectionnelle ne soit toujours pas intégré par les forces américaines (mais pas seulement cf. soldats allemands jouant avec des ossements) après plus de dix ans de présence en Afghanistan. Pour remédier à cela, l'armée américaine a sensiblement accru le temps consacré aux us et coutumes afghans dans la préparation des troupes en instance de déploiement.

Manifestation à Bagram suite aux Corans brûlés - crédit: AP

L'ennemi intime

Bien que ces attaques  green on blue soient préoccupantes, les pertes qu'elles engendrent restent sans commune mesure avec un phénomène bien plus pernicieux. En effet, l'armée américaine connaît une recrudescence du nombre de suicides parmi les troupes déployées en Afghanistan. 154 soldats seraient ainsi passés à l'acte sur les 155 premiers jours de l'année 2012 ce qui dépasserait de plus de 50% les pertes américaines en Afghanistan dans la même période. "Selon le Medical Surveillance Monthly Report du Pentagone (numéro de mai 2012), 26,4 % des soldats américains ayant perdu la vie en 2011 sont ainsi morts au combat, 19,5 % par suicide et 17,3 % lors d'accidents de la circulation. Il y a cinq ans, en 2006, 40,5 % étaient morts au combat, 24,3 % au cours d'accidents de la route et seuls 11,4 % s'étaient suicidés" cite le journal Le Monde. Ce qui inquiète le plus c'est que ces chiffres augmentent fortement par rapport à 2010 et 2011 alors même que les autorités ont mis en place de nombreuses mesures pour enrayer cette spirale comme le montre le Army suicide prevention program. Le pentagone avoue ainsi ne pas connaître l'efficacité des politiques de prévention.

Crédit US Army

"Mon Dieu, gardez-moi de mes amis. Quant à mes ennemis je m'en charge!"

Le suicide n'est malheureusement pas le seul phénomène destructeur interne avec lequel l'armée américaine doit composer. Un documentaire "the invisible war" , sorti en juin de cette année, dénonce l'importance des viols et agressions sexuelles au sein de l'institution militaire américaine. Ainsi, 3200 agressions à caractère sexuel ont été rapportées en 2011 et il est fort probable que bien davantage aient été commises car il est souvent compliqué pour la victime de s'exprimer sur de tels actes. Le documentaire pointe également l'omerta qui recouvre généralement ce type de crime, l'armée étouffant la plupart de ces affaires. Le problème est loin d'être récent puisque toujours d'après ce documentaire, on estime à 500000 le nombre de femmes agressées depuis la fin de la seconde guerre mondiale au sein de l'armée américaine. Le problème a pris une telle ampleur que l'on estimait qu'une femme soldat en Irak avait plus de probabilité d'être agressée par un de ses camarades plutôt que d'être tuée par l'ennemi comme le rapporte le Guardian. S'il s'agit prioritairement d'un problème touchant les femmes, les hommes ne sont pas à l'abri puisque le Veterans Affairs office révèle que 37% des military sexual trauma concernaient des hommes.
Bien que mise en accusation par le documentaire cité supra, l'armée américaine a pris conscience de l'ampleur du phénomène en créant en 2004 le Sexual Assault Prevention and Response Office. De nombreux programmes de prévention sont mis en oeuvre et des manuels sont distribués aux unités chacune d'entre elles relayant le message.




Comme pour les suicides, il est aujourd'hui difficile pour les autorités américaines d'évaluer l'efficacité des moyens mis en œuvre. Plusieurs enquêtes semblent démontrer que les caractéristiques du métier de soldat sont propices au développement de ces fléaux. L'enjeu est d'importance pour l'armée américaine car bien après le retour programmé d'Afghanistan en 2014 qui mettra naturellement fin aux green on blue, elle aura encore à se battre contre ses propres démons.


* 3 principaux facteurs peuvent expliquer la baisse des pertes liées aux IED. Tout d'abord, les Taliban ont clairement indiqué leur volonté de cibler davantage et en priorité les forces de sécurités afghanes. Deuxième explication, la coalition s'est davantage focalisée sur la conception des IED et a fait des concepteurs l'un de ses principaux objectifs. Enfin, les techniques de détection et de protection ont fait de sensible progrès forçant les insurgés à modifier la conception de leurs pièges.

1 commentaire:

  1. Article intéressant. Il faudrait comparer les chiffres avec les autres grandes armées qui ont aux combat, l'armée russe en autre.

    RépondreSupprimer